Rapport sur l’accueil de la petite enfance : La Cour des Comptes épingle le DIP et les communes

En mars 2012, la Cour des comptes a publié un volumineux rapport sur l’organisation du dispositif genevois pour l’accueil de la petite enfance (institutions et accueillantes familiales de jour) lien vers le rapport

Le constat est sévère et les recommandations nombreuses à l’intention du Département de l’instruction publique et des communes genevoises. La situation décrite est inquiétante, mais pas surprenante pour le SIT.

Depuis des années, le syndicat interpelle Charles Beer afin qu’il mette en œuvre la loi cantonale (LSAPE), facilite la conclusion d’une convention collective de travail et dote ses services de réels moyens de surveillance. Des centaines d’employé-e-s de la petite enfance avaient défilé devant son bureau en juin 2010 et une pétition nantie de 3900 signatures avait été déposée au Grand Conseil, à l’occasion du 14 juin 2011, pour notamment attirer l’attention sur l’inapplication de la loi, le sous-effectif de du service d’évaluation des lieux de placement (ELP), l’absence d’observatoire cantonal de la petite enfance.

Statistiques déficientes et inégalité de traitement

Les 40 recommandations émises par la Cour sont de différentes natures. Certaines d’entre-elles mettent en évidence l’absence de données fiables permettant d’évaluer les besoins du canton en termes de places, de personnel et de formation. Dans les faits, certaines communes ne font aucun effort de création de places pour répondre à la demande, ou ne privilégient qu’un seul mode de garde comme celui de l’accueil familial, pour lequel les places ne sont pas subventionnées. L’inégalité de traitement des parents est aujourd’hui patente à ce sujet. L’observatoire cantonal doté de 1,2 postes, pourtant prévu par la loi depuis huit ans pour effectuer cette tâche, n’a été mis en place par le DIP qu’au début 2012. La Cour relève aussi que les écoles privées et les institutions privées non subventionnées (crèches d’entreprises) ne sont pas tenues de respecter les mêmes normes que les autres, ce qui provoque des niveaux de garde disparates.

Manque d’effectif à l’ELP

La Cour met aussi le doigt sur le défaut de surveillance des institutions comme de l’accueil familial. La loi prévoit des visites régulières mais, dans les faits, le service de l’ELP intervient surtout pour parer aux urgences. Il n’a pas les moyens de suivre le rythme nécessaire à un réel contrôle. Des institutions ne sont plus visitées depuis 3 à 5 ans, alors que la loi prescrit un rythme bisannuel. Cette situation engendre le non respect des normes d’encadrement, du personnel occupant des postes sans la qualification requise, un dépassement du nombre maximum de places autorisées, etc. Les accueillantes familiales de jour de sont pas non plus visitées annuellement comme prévu. Le syndicat dénonce depuis des années l’absence chronique d’effectif au service de l’ELP pour garantir la sécurité et la qualité des lieux d’accueil. Le nombre de nouvelles places créées ces dernières années a explosé sans que le personnel de ce service voie augmenter sa dotation. Là également, le chef du Département à une lourde responsabilité dans cet état de fait.

Défaut de surveillance

La Cour révèle aussi de nombreuses faiblesses en matière de contrôle : institutions sans autorisation de fonctionnement, dossiers incomplets sur le personnel ou les enfants, critères subjectifs d’appréciation, non prise en comptes du temps de préparation en dehors de la présence des enfants ou de la formation continue dans la détermination des effectifs requis, absence de mise en demeure des institutions ne respectant pas la loi, délégation de certaines règles de contrôle aux directions des institutions elles-mêmes. Charles Beer, ex-syndicaliste rappelons-le, va même jusqu’à refuser que le service de l’ELP vérifie le fait que les institutions soient signataires d’une CCT, bien que ce critère soit explicitement prévu pour l’autorisation de fonctionnement d’une institution. Le rapport indique aussi que les institutions dysfonctionnant de façon récurrente ne voient pas leur autorisation révoquée en raison de la pénurie de place. Ces dysfonctionnements interrogent la conduite du service et mettent en évidence la carence de moyens informatiques, mais aussi de consignes départementales non-conformes à la loi. Résultats de ce défaut de surveillance, de nombreuses institutions fonctionnent sans être signataire d’une CCT. Dans certains lieux, le personnel éducatif fait aussi les frais de directions peu scrupuleuses des règles, ce qui engendre une surcharge de travail, du stress et de l’angoisse face aux risques encourus, une démotivation et un turn over excessif.

Offensive de formation sans moyen

Le seul élément sur lequel le DIP a travaillé, en lien avec ses divers services et les partenaires sociaux, concerne la révision des normes relatives à la formation du personnel éducatif des institutions. La Motion 1952, adoptée par le Grand Conseil, préconise une diminution du nombre d’éducateurs-trices du jeune enfant au profit de personnes au bénéfice d’un CFC ASE. Cette nouvelle norme impliquera toutefois que des moyens soient accordés pour former le personnel non qualifié, encadrer le personnel en formation, mettre à disposition des places de stage et faciliter les validations d’acquis de l’expérience (VAE). Cette offensive de formation n’ira pas sans que le Département prévoient des moyens financiers supplémentaires. L’assèchement budgétaire déjà annoncé par le canton pour les années à venir ne répond pas à ces nouveaux besoins. Les institutions devront aussi participer à cet effort de formation. Relevons que la Cour des comptes passe complètement à côté de cet enjeu.

Désunion des communes

Le rapport met aussi en évidence les difficultés liées à la gestion des listes d’attente par les communes ou par les institutions. L’Association des communes genevoises (ACG) rejette toutefois toute solution centralisée, ce qui aurait pourtant l’avantage de mieux déterminer les besoins des parents et faciliter les inscriptions. Au nom de l’autonomie communale, l’ACG refuse également la gestion centralisée d’un pool de remplacement ou de la facturation des pensions, des critères harmonisés d’attribution des places vacantes, la signature d’une seule et unique CCT pour le canton, des horaires d’ouverture harmonisés, la création d’une structure intercommunale de droit public pour organiser le dispositif genevois d’accueil de la petite enfance. Elle accepte uniquement d’étudier une harmonisation de la tarification aux parents placeurs.

OUI à l’IN 143

La division au sein de l’ACG est connue depuis belle lurette, chacune des 45 communes souhaitant réinventer la roue. Dans notre pratique syndicale, nous constatons que ce mécanisme permet aux communes d’échapper à leurs obligations de créer des places en suffisance, de conclure une CCT véritablement intercommunale et de mettre sur pied les structures de coordination de l’accueil familial prévues par la LSAPE. Ces dernières permettraient d’offrir de meilleures conditions salariales et sociales aux AFJ et des tarifs en fonction des revenus pour les parents placeurs. L’initiative cantonale « Pour une véritable politique d’accueil de la Petite enfance ! », soumise en votation populaire le 17 juin prochain, devrait permettre de clarifier la situation. Si elle était acceptée, elle inscrirait dans la Constitution la reconnaissance d’un droit pour chaque enfant à disposer d’une place. Elle ferait obligation aux communes d’y répondre dans les cinq ans. L’IN 143 est attaquée par un contre–projet de droite, qui cherche ni plus ni moins à maintenir le statu quo non contraignant que nous connaissons aujourd’hui. Le SIT avait participé à la récolte des signatures, car il est d’avis que l’initiative permettrait enfin de mettre les communes face à leurs obligations, et il appelle à glisser un oui dans les urnes.

Valérie Buchs/ SIT-info avril 2012


ELP : Le personnel se mobilise

Quelques semaines avant la publication du rapport de la Cour des comptes, la direction de l’Office de la jeunesse a annoncé une restructuration du service de l’ELP. Cette restructuration s’inscrit dans un projet de vaste réorganisation de l’ensemble de l’Office. Problèmes : l’entrée en vigueur de cette restructuration est prévue de manière « progressive » dès le mois d’avril, mais sans aucun organigramme ou calendrier précis, et surtout sans que les moyens n’aient été définis et octroyés. Car c’est bien là que le bât blesse : de l’aveu même du Chef du département, l’ELP n’a pas les moyens en effectifs devant lui permettre d’effectuer sa mission de contrôle des milieux d’accueil. Le SIT a donc transmis une résolution d’assemblée demandant de suspendre la mise en œuvre de cette restructuration tant que la question des moyens n’est pas réglée. Une nouvelle Assemblée aura lieu le 26 avril. On ne construit pas un pont sans en connaître la longueur, et encore moins sans savoir si on aura assez de ciment.