La motion acceptée à Berne implique des baisses de salaires allant de 400 à 1000 frs, qui pourraient frapper les employé-e-s des secteurs de l’hôtellerie-restauration, du nettoyage ou encore de la coiffure.
Témoignages
Ce n’est pas pour tout de suite, mais le risque est réel ! En acceptant du bout des lèvres la motion Ettlin mercredi dernier, la majorité bourgeoise du Parlement assume l’idée d’effacer une victoire populaire et d’enfoncer dans la précarité, à Genève et dans le canton de Neuchâtel, des milliers de personnes dans la précarité, essentiellement des femmes. « Des élu-e-s riches de droite sont en train de nous expliquer qu’il faut absolument que les salarié-e-s les plus pauvres, celles et ceux qui peinent déjà à boucler leur fin de mois, soient encore plus pauvres », s’insurge Nancy, militante et travailleuse de l’hôtellerie. « Est-ce qu’un-e seul-e de ces élu-e-s à une idée de ce que signifie vivre avec le salaire minimum ? »
Jusqu’à 1000 frs de moins
L’idée de la motion est de faire primer les Conventions collectives de travail de force obligatoire sur les salaires minimum cantonaux. Concrètement, à Genève, si la motion était appliquée en 2023, une femme de chambre, un-e serveur-euse ou une cuisinier-ère verrait son salaire diminuer de près de 500.-. « À l’heure où ma famille va s’agrandir et où l’inflation se fait sentir, on me dit que je vais devoir tourner, en bossant à plein temps dans le service, avec 2500.- net par mois… Ce n’est pas possible ! », s’inquiète Ram*, militant au SIT. « Je ne m’en sors déjà pas avec le salaire minimum ! » De son côté, un-e nettoyeur-euse perdrait près de 400.- par mois et un-e coiffeur-euse jusqu’à 1000.-.
CCT remise en cause
Les secteurs concernés sont très exactement ceux qui font actuellement face à une pénurie de personnel. « Qui voudra encore travailler dans la restauration alors que même avec le salaire minimum légal, c’est galère ? », s’interroge Ram*. Nancy prévoit d’aller chercher du travail dans un secteur non-concerné par la motion, notamment l’économie domestique. Lilian, nettoyeuse, songe réclamer de son syndicat qu’il dénonce la convention collective du nettoyage, « tout simplement parce que je serais perdante ». Sans convention collective étendue, c’est le salaire minimum cantonal qui continuerait en effet d’être la règle.
Vie impossible
En première ligne de cette attaque, on retrouve une nouvelle fois les femmes, surreprésentées dans les métiers à bas salaires, et les professions où la pénibilité n’est pas reconnue et les horaires de travail coupés et irréguliers. Chez les femmes de chambre par exemple, les temps partiels sont la règle. « Nos contrats garantissent 25 heures par semaine », explique Nancy. « Et le reste varie d’une semaine à l’autre, en fonction de la demande. C’est presque impossible de concilier cela avec un autre emploi, à moins de travailler le soir ou la nuit. Du coup, même avec le salaire minimum, nos salaires mensuels bruts se situent entre 2500.- et 3000.- par mois. »
Question de dignité
Il en va de même dans le nettoyage. « Je me suis toujours débrouillée toute seule, sans jamais rien demander ni à personne, ni à l’État », explique Lilian. « En tant que nettoyeuse, je ne pourrais plus vivre dignement à Genève. Ça c’est ma réalité, que les politiciens oublient. » Passées les considérations juridiques ou démocratiques, c’est dans la réalité matérielle de milliers de travailleurs-euses que la motion Ettlin pourrait s’imprimer. Et aussi dans les comptes d’institutions publiques, de l’Hospice général aux prestations complémentaires familiales, qui devront intervenir quand les revenus ne suffiront vraiment pas. « Nous réclamons juste de pouvoir vivre de notre travail sans avoir à faire la manche ! », conclut Nancy. « Et nous allons nous mobiliser afin que cette motion ne devienne jamais une réalité. »
Julien Repond
*prénom fictif