15 ans de loi sur l’égalité

Le bilan après 15 ans de loi sur l’égalité est assez mitigé. Pour ce qui est des aspects positifs de cette loi, elle a permis une augmentation du nombre de causes devant les tribunaux, même si toutefois celui-ci cela reste faible au regard des discriminations existantes dans le monde du travail et que certains jugements sont préoccupants.

La LEg a aussi un caractère préventif. Elle a permis que des entreprises éliminent d’elles même certaines formes de discrimination à l’égard des femmes et elle a facilité l’introduction de nouvelles dispositions lors des négociations sur les statuts du personnel des collectivités publiques ou dans certaines CCT.

Par ailleurs, cette loi a renforcé la conscience qu’ont certaines travailleuses des discriminations subies et permis de leur faciliter le respect de leurs droits par les entreprises. Dans certains cas, l’intervention des syndicats directement auprès des employeurs a permis d’éviter le recours aux Tribunaux. De même, certaines causes sont conciliées, car il y a des entreprises qui ont peur d’une mauvaise publicité. Au cours de ces 15 ans, des procès exemplaires ont pu être gagnés, soit par des actions individuelles, soit par des actions collectives. La loi a aussi permis le développement d’études, d’outils et de statistiques et rendu possible le financement de programmes concrets en vue d’instaurer l’égalité dans les faits, de structures d’informations et d’appuis spécifiques pour les femmes.

Mais, d’une manière générale, cette loi est méconnue des employeurs, des cadres et des DRH, ainsi que de la plupart des employées et des employés. Même les juges prud’hommes et les présidents et présidentes des tribunaux ne prennent souvent pas la peine de se former sur ce sujet. Le nouveau Code de Procédure Civile va heureusement y remédier pour la présidence des commissions de conciliation. Une offensive de formation de l’ensemble des juges-assesseurs, ainsi que du personnel syndical, à l’occasion de cette nouvelle procédure introduite par le CPC, est préconisée.

Aspects négatifs et carences de cette loi

Après 15 ans, il est temps d’apporter des modifications légales pour permettre l’application de l’égalité dans les rapports de travail.

Lors de l’adoption de la loi, le Parlement a écarté explicitement les moyens qui auraient permis de promouvoir activement l’égalité dans les faits, en particulier la possibilité pour un organisme officiel de mener des enquêtes dans les entreprises pour vérifier l’application de la LEg. Les autorités publiques doivent être dotées de compétences d’investigation et d’intervention dans les entreprises. En cas de discrimination, les autorités publiques doivent pouvoir ouvrir une action devant les tribunaux pour représenter les victimes et dénoncer les discriminations constatées. Un renforcement des sanctions pécuniaires en cas d’infraction à la loi doit aussi être prévu. Actuellement, un employeur est seulement condamné à payer la différence salariale jugée discriminatoire sans encourir d’autres pénalités. Ainsi, pas vu pas pris, il n’y pas grand risque à maintenir les discriminations faites aux femmes. Des modèles de ce type existent dans le système suisse comme le ou la préposé-e fédéral-e à la protection des données ou la commission de la concurrence, ainsi que dans certains autres pays comme l’Irlande, le Royaume-Uni, la Suède ou le Canada.

Il faut rappeler que l’employé-e est la partie faible au contrat de travail et que l’employeur a la possibilité de le ou la licencier facilement, en raison de la très insuffisante protection contre les licenciements qui existe en droit suisse, y compris celle prévue par la LEg pourtant un peu renforcée. La situation du marché du travail, avec cette succession de crises économiques, le raccourcissement de la durée des indemnités de chômage et la généralisation de contrats précaires ne font que renforcer la peur des salarié-e-s de défendre leurs droits. Il est par exemple très facile de ne pas reconduire un CDD pour une femme enceinte ou de licencier une travailleuse en période d’essai qui se plaint de propos inconvenants ou de gestes déplacés.

Les congés représailles doivent être rendus nuls, et non pas annulables, et la période de protection contre le congé prévue à l’art 10 LEg doit être allongée. Il est aussi singulièrement choquant qu’un licenciement discriminatoire, ne donne lieu qu’au versement d’une indemnité équivalente au maximum à 6 mois de salaire, ce qui est rare, et non pas à l’annulation pure et simple du congé. Ceci doit être corrigé.

L’égalité entre femmes et hommes au travail à besoin de nouveaux outils pour progresser. Il est inopérant d’avoir limité la qualité pour agir des organisation à la requête d’un jugement en constatation, ce qui contraint ensuite les salarié-e-s concerné-e-s à agir en justice si l’entreprise ne s’exécute pas à l’issue d’un jugement qui lui est défavorable et qui met par exemple en évidence une discrimination salariale à raison du sexe. Il conviendrait d’étendre le droit d’agir des organisations afin de leur permettre d’introduire une action en paiement, ou visant à interdire ou faire cesser une discrimination.

Les résultats de l’enquête suisse sur la structure des salaires 2010, publiés récemment par l’OFS, attestent que les différences salariales entre femmes et hommes dans le privé ne se résorbent pratiquement pas (l’écart a diminué de 0,9% en deux ans). La différence de salaire au détriment des femmes va même en se creusant dans certains secteurs professionnels (banques, assurances) ou selon la formation acquises (UNI, EPF, ou HES) ou la position professionnelle occupée (cadre inférieur ou moyen).

Cette tendance est notamment due à une individualisation des salaires par la disparition de mécanismes salariaux automatiques, à l’introduction du salaire au mérite, à l’explosion de la part de bonus et de gratification dans la rémunération, lesquels reposent sur des évaluations subjectives de la performance et sont facteurs de discrimination. Le plafond de verre persistant explique également les différences plus importantes de salaires entre femmes et hommes parmi les tranches de salaires les plus élevées.

L’absence de transparence des salaires permet aux entreprises d’être les seules détentrices des moyens de preuve. Si la qualité pour agir des organisation est reconnue, elle dépendra surtout de l’étendue des droits syndicaux existants dans l’entreprise : l’accès aux données, la négociation des conditions de travail, la protection des délégués syndicaux et des déléguées syndicales contre les licenciements. L’OIT met en évidence, année après année, les carences de la Suisse en la matière et les Fédérations syndicales suisses demandent de renforcer les dispositions de protections des travailleurs et des travailleuses dans le Code des obligations.

Le faible nombre de réclamations déposées en matière de LEg s’explique aussi par ce manque de transparence en matière de salaire et par cette difficulté d’accès aux données. Il s’agirait de créer des règles qui obligent les entreprises à fournir ces informations. Sur simple demande, elles seraient tenues de remplir un questionnaire sur les rémunérations à l’instar du Royaume-Uni, de la France, de la Suède, de l’Australie.

Les syndicats genevois (CGAS) ont lancé une initiative pour le renforcement du contrôle des entreprises pour lutter contre la sous enchère salariale, qui a abouti en février 2012 (voir l’article à ce propos). Elle permettra d’avoir des moyens pour visiter les entreprises, obtenir la production des données et vérifier le respect par les entreprises des conditions de travail et des salaires prévus par les CCT ou les usages. Nul doute que cela facilitera aussi la mise en évidence des discriminations salariales.

Au plan fédéral, les syndicats ont aussi lancé une initiative pour l’instauration d’un salaire minimum à 4000 francs, malheureusement rejeté en votation par les électeurs-trices du canton de Genève en novembre 2011. Cette mesure aurait en premier lieu touché les femmes puisqu’elles représentent environ 65% des personnes gagnant un salaire inférieur à ce montant.

Il faut aussi plaider en faveur d’une modification de la législation sur les marchés publics, qui prévoient bien que les entreprises doivent respecter la LEg pour être admises à soumissionner, mais qui ne permet pas un contrôle effectif de cette obligation avant adjudication. Aujourd’hui, il suffit d’une simple déclaration signée par l’employeur. Des instruments existent maintenant pour contrôler les salaires, tel que le logiciel LOGIB. Les collectivités publiques doivent pouvoir exiger des entreprises soumissionnaires une certification récente attestant que leur système salarial est exempt de discrimination avant adjudication. Des bases légales doivent être adoptées par la Confédération (Loi sur le marché intérieur) et les cantons (accords AIMP). Ce faisant, la CEDEF (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes), ratifiée par la Suisse, serait concrètement mise en œuvre sur ce point.

Le Dialogue sur l’égalité des salaires, lancé il y a deux ans par les partenaires sociaux et la Confédération dans le but d’éliminer les discriminations salariales à raison du sexe, a publié un bilan intermédiaire négatif. Basé sur une démarche volontaire, il apparaît que seules 16 entreprises et administrations ont accepté de participer à cette démarche. C’est absolument insuffisant, ce qu’a d’ailleurs confirmé récemment la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Ce Dialogue poursuivra ses travaux jusqu’en 2014 et, en cas d’échec, elle préconise des mesures publiques pour imposer l’égalité salariale.

En matière de harcèlement sexuel, il faut également remarquer que les dispositifs mis en place par les employeurs pour prévenir et faire cesser le harcèlement sexuel sont rares, y compris dans les CCT ou les statuts du personnel des collectivité publiques. Lorsque ceux-ci existent, ils sont parfois utilisés par la hiérarchie pour se défausser de son obligation d’intervenir pour faire respecter la personnalité des employé-e-s. Quant aux moyens des Offices cantonaux d’inspection et de relation du travail, il sont dérisoires au regard des missions qui leurs sont confiées. On constate aussi que dans la très forte majorité des causes de harcèlement sexuel traitées en justice, les rapports de travail sont déjà résiliés alors que ces dispositifs devraient justement permettre de préserver l’emploi des personnes plaignantes. Dans ce domaine, la passivité syndicale est également en cause, car ce point figure rarement dans le catalogue des revendications présenté à l’occasion du renouvellement des CCT. A leur décharge, les CCT ne couvrent que partiellement les rapports de travail de droit privé.

A l’occasion d’un rapport d’évaluation de la LEg en 2006, le Conseil fédéral a opté pour des mesures timorées, reposant sur l’information, la sensibilisation et l’incitation aux entreprises, afin de préserver la flexibilité du marché du travail et la sacro-sainte liberté économique. Il a refusé des modifications pouvant entraîner une révision de la loi elle-même. Aujourd’hui, la démonstration a été faite qu’on ne peut plus se contenter de mesures incitatives.

Ces propositions d’amendement de la LEg, ainsi que d’autres lois, doivent toutefois être examinées à la lumière de la composition politique actuelle des Chambres fédérales et des parlements cantonaux, majoritairement hostiles à prendre des mesures contraignantes en faveur de l’égalité entre femmes et hommes. Actuellement, on observe même un certain recul en matière d’égalité avec le développement d’une pensée conservatrice (initiative contre le remboursement de l’avortement par exemple) et la consolidation du moins d’Etat. Les restrictions budgétaires menacent les associations de défense des intérêts des femmes par des coupes dans leurs subventions, mais aussi les bureaux de l’égalité qui manquent cruellement de moyens et d’effectifs pour remplir leurs tâches, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement supprimés ou confinés au traitement des questions familiales. Les infrastructures permettant aux femmes d’exercer une activité professionnelle sont mises en péril par une politique d’assèchement systématique des deniers publics, en particulier dans le domaine des soins à domicile, EMS, crèches, foyers pour personnes en situation de handicap, à cet ensemble de tâches qui étaient assignées traditionnellement aux femmes et qui devraient être prises en charge par les collectivités publiques, tout en constituant un gisement d’emplois. La mobilisation des syndicats, du mouvement des femmes et des forces politiques engagées en faveur de l’égalité demeurent indispensables pour faire passer de nouveaux moyens légaux nécessaires à la concrétisation de l’égalité entre femmes et hommes dans les faits.

Valérie Buchs/secrétaire syndicale SIT